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                                                             MEDIAS  AUTRES  ÉCRİTS   M - Z

 

 

 

 

 

 

 * César MAGRINI (historien d'art argentin) : " Et voilà, Céline est mort. Les grands journaux l'ont annoncé sous une forme voilée, presque avec honte. Il avait été " collaborateur " : c'est tout ce dont ils se souvenaient. Il avait dénudé l'homme jusqu'aux os ; et cela fait mal. Il avait dénoncé la pourriture d'une société qui ressemble chaque jour davantage aux sépulcres blanchis de l'Evangile ; mais aujourd'hui, il est vrai, on renie le Christ au nom du Christ. Il a tourné en dérision la littérature, cet accoutrement le plus souvent inutile que l'homme lucide laisse de côté parce qu'il est d'une autre dimension - plus grand ou plus petit, peu importe ! - et il s'est moqué d'elle en faisant de la littérature.

   Lui aussi, à sa manière, il a essayé de racheter l'homme. Mais il n'a pas su feindre ; et ce fut là peut-être sa plus grande faute. Céline appelait ; mais il y a des bruits qui assourdissent et couvrent les voix les plus pures, et les voix les plus pures, on le sait, sont aussi les plus fragiles. Il appelait vers lui toutes les péniches du fleuve, toutes, et la ville entière, et le ciel et la campagne et nous, tout qu'il emmenait, la Seine aussi, tout qu'on n'en parle plus. Ce sont là les dernières paroles de son livre. Ecoutons-les : et qu'on n'en parle plus. "
 
(Céline et Lautréamont, Cahiers de l'Herne, poche, Biblio, Essais 1963-1965-1972).  

 

 

 

 

 

 

* Jacques-Louis MALOUVIER (médecin) : " C'est en juillet 1937 que j'eus le privilège de passer une soirée avec Louis-Ferdinand Céline. Désirant prendre trois semaines de congés en pays natal, le Limousin, mon père avait passé une annonce dans le Concours Médical à la recherche d'un remplaçant. Le Docteur Destouches, alias Céline, débarqua du train de Paris un beau matin, incognito.

Avec lui, deux valises pleine peau et Lucette Almansor. Le chat Bébert n'était pas encore du voyage. Il s'installa 84, route Nationale , au cabinet (...) Ne prétendant pas circuler en voiture, il s'était fait expédier, par la SNCF, sa bicyclette, entièrement chromée comme celle d'un acrobate de cirque. Un bijou ! "
   (
Le Havre libre, 6 avril 1995
).

 

 

 

 

 

* François MARCHETTI (professeur, maître de conférences à l'Université de Copenhague) : " L'élan était donné. Désormais, la presse littéraire danoise parlait régulièrement de Céline et de son influence sur la littérature internationale. Des émissions radiophoniques lui étaient consacrées. Deux nouvelles traductions, dues à Marianne Lautrop, Nord (2004) et Rigodon (2007) sont venues depuis enrichir le fonds célinien danois.

  Or, en dehors des livres, un évènement considérable à l'échelle du pays a contribué, ces dernières années, à encore mieux asseoir la réputation de Céline : la représentation de L'Eglise en janvier 2004, un spectacle étincelant, donné à guichets fermés pendant trois semaines par un théâtre de Copenhague. Le public en était essentiellement composé de jeunes. Ainsi peut-on espérer que Céline aura trouvé audience auprès d'une nouvelle génération, aux yeux de laquelle s'estompera l'image regrettable de l'antisémite et de l'ingrat pour faire place à celle, tellement plus sympathique, de l'écrivain de génie. Comme quoi aucune cause n'est jamais désespérée. "
  (Céline en danois, BC n°300, sept.2008).

 

 

 

 

 

 

 * Lucie MAZAURIC (conservatrice des archives et bibliothèques des Musées nationaux, avec son mari André Chamson participe à la création de Vendredi, journal antifasciste qui soutiendra les républicains espagnols et le Front populaire, 1900-1983) : " Nos découvertes de voyageurs avides continuaient avec l'Ermitage et sa profusion, le Trésor des Scythes gardé par des soldats rouges, aussi raides qu'au tombeau de Lénine, les châteaux impériaux, bien tenus, magnifiques, luxueux, etpourtant temples du mauvais goût au temps des derniers tsars. Dans leurs jardins, nous adressions un clin d'œ il complice à ces bons vieux vases à orangers, venus d'Anduze comme moi, présents partout au monde, à Leningrad comme au Japon.
 Ceci dit, il ne nous était pas possible de porter un jugement d'ensemble sur le régime, comme Gide avait pu le faire. Nous n'en avions ni le temps ni les moyens.
   Leningrad n'était pas, comme Moscou, la Mecque des intellectuels. Notre plus étrange rencontre, à l'hôtel, fut celle de Céline. Je ne sais quel Soviétique fantaisiste avait eu l'idée saugrenue de l'inviter à venir en URSS. Son physique me glaça, avec son visage ravagé troué par deux yeux d'un bleu très clair, seule note de pureté dans cette face dégradée.

  Ses propos étaient écœurants de grossièreté voulue. je cite : " Ce pays est infect. Impossible d'y vivre. Moi, il me faut de ces bonnes petites démocraties pourries, comme la France, pour y faire mon blé... " Et il ajoutait, devant une secrétaire terrifiée : " Et personne avec qui faire l'amour ! Je n'ai que cette petite secrétaire moche qui, le matin, en sortant de mon lit, va se précipiter pour faire son rapport au Guépéou !... "
 
La secrétaire l'écoutait, comprenant tout, au bord des larmes. C'était affreux à voir... Mais ce n'était pas Céline que nous étions venus découvrir en URSS. J'aimais mieux songer à ses débuts, quand André [Chamson] avait été le premier à saluer son entrée en littérature par un article élogieux ! "
 (Lucie Mazauric, Vive le Front populaire ! , Avec André Chamson (1934-1939), Plon, 1976).

 

 

 

 

 

* Jérôme MEIZOZ (enseignant à la Faculté des lettres à Lausanne): " Présenté comme médecin des pauvres, il manie la double référence de la compassion chrétienne et de la solidarité populaire. Il se veut du côté de la souffrance, de la vie brute, marginal volontaire, solidaire des exploités. Céline s'identifie à Semmelweis, le médecin incompris auquel il a consacré sa thèse: il le peint sur le modèle chrétien du martyr, construisant son discours comme une vie de saint.

   Céline se distingue du milieu littéraire par son parcours scolaire atypique, il s'oppose à ceux qui ont fait des études classiques, les littérateurs bourgeois qui ont le culte puriste de la langue morte. Comme le dit Julien Gracq, Céline est dominé par son personnage ou sa posture. Après-guerre, vêtu comme un clochard, il se dit bouc émissaire, " paria pourri ", misanthrope entouré de chats, meilleurs que les humains dont il dénonce les tares avec hargne. Il se présente comme celui qui a osé dire la vérité, victime vertueuse, comparable aux écrivains décapités sus la Terreur. "
  (Propos recueillis par I.Rüf, Le Temps, Genève, 24 nov.2007).  

 

 

 

 

 

 * Thorvald MIKKELSEN (1885-1962, avocat danois, francophile, marié à une française a assuré la défense de Céline de 1945 à 1951) : " Un autre Français, mais bien plus intéressant celui-là, fit irruption dans ma vie à peu près à la même époque. C'était un médecin et un écrivain célèbre, très mal vu dans pas mal de milieux : L.-F. Destouches, qui sous le pseudonyme de Céline, était connu comme auteur de Voyage au bout de la nuit, Mort à crédit et quelques livres antisémites. Son port d'attache était Montmartre, dont il avait été une espèce de roi non couronné. Un homme bien plus compliqué et d'une tout autre trempe que Louis.(1) Céline était un curieux mélange d'excellentes et même exceptionnelles qualités, un aristocrate intellectuel de la plus haute extraction, qui méprisait les bourgeois : " Les épiciers " et les " hommes politiques ", mais c'était aussi un pleutre ne pensant qu'à lui et jouant au martyr dès qu'il s'agissait de sa propre peau. Tout en lui était contradiction.

    Il méprisait tout ce qui n'était pas français ou marqué par l'esprit français ; il n'y avait que la seule langue française au monde - tous les autres parlers étaient barbares ; l'esprit français était logique, clair, profond, tout le reste n'était que plagiat ; mais il reconnaissait - bien qu'à contrecœur - l'aptitude de la science anglaise à analyser et à expérimenter. C'était un patriote et il se sentait comme tel, haïssant les juifs pour s'être ingérés dans les affaires de la France et avoir corrompu l'esprit français.
 Il vomissait la bourgeoisie pour sa mesquinerie, mais lui-même était plein d'envie pour l'argent des autres. Il pouvait être amer et désagréable ; tout était infect, dégoûtant, pourri, tout et tous s'étaient conjurés contre lui, etc. Et en même temps il était spirituel, charmant au possible, Caliban et Ariel réunis dans la même personne.
  A Paris, sous l'Occupation, il s'était tenu à l'écart, mais son immense talent avait fait des jaloux, et on argua de ses livres antisémites pour l'accuser de collaboration ; aussi prévoyait-il - non sans raison - que sa peau ne vaudrait pas cher le jour où la Résistance prendrait le pouvoir. "
 
(1) Allusion à un cuisinier français, évadé d'Allemagne que Mikkelsen a engagé et protégé jusqu'à la fin de la guerre.
 (Dun Céline l'autre, D. Alliot, R. Laffont, 2011, p.772).

 

 

 

 

 

 * Simone MITTRE (secrétaire et maîtresse de Fernand de Brinon qu'elle suivit à Sigmaringen): " Lorsqu'il arriva à Sigmaringen, Céline s'installa avec sa femme dans une minuscule chambre sans confort, un carreau de sa fenêtre cassé, il faisait un froid glacial. C'est dans cette chambre et sur son propre lit qu'il recevait les malades, les examinait, les soignait. Il régnait une grande misère. Certains d'entre eux qui couchaient sous des tentes ou dans le hall de la gare avaient la gale. Céline soignait chacun sans distinction . Indépendant par nature, il ne faisait que ce que son cœur lui dictait, ne pensant ni à son intérêt, ni à ce que l'on pourrait en dire. La nuit, si on le faisait appeler, il partait sous une neige épaisse, souvent très loin, à pied bien entendu, sans même le secours d'une lampe électrique. Il allait pourtant, il allait toujours, ne demandant jamais un centime, ni aux uns, ni aux autres.

      Et puis un jour d'avril 45 je crois, ou mars, éternellement inquiet, mal à l'aise ici comme ailleurs, Céline décida de partir pour le Danemark emmenant sa femme, Le Vigan et Bébert. Je ne le revis qu'à Meudon, 12 ans plus tard. Il était méconnaissable, infiniment triste, vieilli, usé, squelettique. Nous étions émus l'un et l'autre. Nous parlâmes longtemps, nous avions tant de choses à nous dire ! Quoique bien las il tint à me raccompagner jusqu'à la porte de son jardin. Nous nous embrassâmes. Je ne devais plus le revoir. "
 (Simone MITTRE, L'Herne n°5, 1965).



 

 

 

 

 

* Henri MONDOR (médecin, chirurgien et historien de la littérature, 1885-1962, de l'Académie Française) : " C'est au plus bas de son isolement, de son châtiment, sans l'avoir encore rencontré, que je me sentis pris pour lui d'une compassion attendrie où la confraternité dictait le pas. Quelques excès de langage qu'il eût osés, comment accepter qu'il mourût, au fond d'une fosse, comme un rat d'égout empesté ?

   Un médecin se devait d'en secourir un autre. Je tendis, en effet, une main au damné. " Le courage du cœur demande aussi des généraux ", a-t-il écrit. Et il ajoutait, à la fois terrorisé et résolu à survivre: " Je m'acharne ! Ne serait-ce que pour aller vous voir un jour en personne ! Enfin présentable, ni pendu, ni empalé, ni décapité, ni fantôme ! "
  (L'Express, 6 juillet 196
1). 

 

 

 

 


 

 

* Albert NAUD (avocat d'Assises 1904-1977): " Mon cher Maître, / Il est bien gentil le ministre... Je peux encore le faire marrer qu'il en roulera sous sa table mais il faudrait qu'il m'ôte d'abord le mandat d'arrêt qui me pend où vous savez... Je possède encore Dieu merci pour le rire une palette assez riche, tous les tons : le rire franc, le rire jaune, le rire coucou, le rire cocu, le rire comme-on-a-jamais-ri... mais 17 mois de cellule, 4 ans d'exil, l'Hallali du monde entier, c'est trop, même pour un écrivain comique... le rire figé...

   Oui certes je le sais bien, je compte encore beaucoup d'amis, je les adore de mon côté, mais ce qui se passe toujours c'est qu'ils sont faibles et mes ennemis puissants. Total: à moi les calvaires, à mes ennemis les planques et les arcs triomphaux ! Encore si j'allais moi lancer des bombes sur Londres, si je refourrais moi les juifs en concentration ! Mais foutre précisément c'est toute cette ignoble gymnastique que j'ai voulu éviter !... Et j'en suis là... ! Je le savais bien pardi que les clowneries les plus désastreuses sortent du Temple de Mars ! C'est sans fin... / L F Céline ".
  (Lettres 2009, à Albert Naud le 9 sept. 1947).

 

 

 

 

 

 

 

* Michel ONFRAY (philosophe qui défend une vision du monde hédoniste, athée et anarchiste) : " Céline et Sade, 2014. Mais alors : que faire de la vie de Sade qui fut le contraire d'une fiction et qui coïncide exactement avec la définition du sadisme : le plaisir pris à la souffrance infligée à autrui ? Ou bien encore : pourquoi jeter l'anathème sur la littérature d'un Brasillach ou les pamphlets antisémites de Céline, interdits de réédition, et porter au pinacle des éditions Gallimard les œuvres du marquis ?

  Si la littérature n'a rien à voir avec la vie, alors pourquoi Bagatelles pour un massacre ne se trouve pas édité en Pléiade ? Ni L'École des cadavres ? Danger de la littérature antisémite de Céline, mais innocuité de la littérature de Sade ? Je tiens pour ma part d'une même dangerosité des livres qui jouissent du mal et y invitent.

 (Michel ONFRAY, La passion de la méchanceté, Éd. Autrement, 2014, in Le Petit Célinien, 2 oct. 2014).
 

 

 

 

 

 

 * Erika OSTROVSKY (Autrichienne, professeur de français à l'Université de New-York) : " Toto, bientôt eut des astuces qui en disaient long sur la nature de son entraîneur : il pinçait les visiteurs au gras du mollet, poussait des cris perçants dans le téléphone pour assourdir les correspondants importuns ; ordonnait sévèrement aux chiens de se coucher ; se permettait de miauler comme un chat ; injuriait la police de la route dans un argot impeccable. Ne reculait même pas devant l'altercation verbale.

 " Pensez donc, me dit Céline, avec scandale et admiration, chaque fois que Coco (variante pour Toto) prenait un peu l'air, sa cage sur la terrasse - et naturellement il sortait bientôt son petit répertoire, sifflotait et roucoulait - le voisin, furieux, mettait un disque sur son pick-up. Ah mais un disque !... Un choix imbattable de vociférations et de tintamarres à écœurer une tribu de Zoulous. Ca ne faisait pas un pli : perroquet ? haut-parleur ! Parfait automatisme... Coco, vexé, gueulait davantage. Alors le disque montait d'un octave. On se serait cru à Charenton, pavillon des agités... " (Robert Poulet, Entretiens familiers, Plon,1958) -
  (Bestiaire célinien, Céline, Le voyeur voyant, Ed. Buchet Chastel, 1972).

 

 

 

 

 

 

* Jean-Jacques PAUVERT (éditeur) : " Céline ? Un génie de l'écriture mais L'école des cadavres et Bagatelles pour un massacre , dont circulent d'ailleurs des contrefaçons, vous tombent des mains. Qu'à cela ne tienne, rééditons-les. "
 (Lire, avril 1998).

 * Dans la bibliothèque de Sceaux, je lis maintenant Céline. Mort à crédit me renverse (sans compter les passages à moitié censurés, laissés en blanc) : un langage nouveau. Une langue nouvelle ? Comment est-ce possible ? Ça vient s'ajouter au reste, sans rien remplacer. Ça occupe simplement un coin de ma tête, un peu à part. Je lis aussi Bagatelles pour un massacre, qui me paraît infiniment drôle, dans ses partis pris et son injustice, difficile à prendre au sérieux. D'ailleurs j'ai lu dans La Nouvelle Revue Française (mon père reçoit aussi La NRF) un article d'André Gide (je lis beaucoup André Gide, surtout Les Faux Monnayeurs, Paludes, tous les Prétextes...) avec lequel je suis assez d'accord :

 " Il me paraît que la Critique, en général, a quelque peu déraisonné en parlant de Bagatelles pour un massacre. Qu'elle ait pu se méprendre, c'est ce qui m'étonne. Car enfin Céline jouait gros. Il jouait même le plus gros possible ; comme il fait toujours. Il n'y allait pas par quatre chemins. Il faisait de son mieux pour avertir que tout cela n'était pas plus sérieux que la chevauchée de Don Quichotte en plein ciel. " (A. Gide, Les Juifs, Céline et Maritain).
 (J.J. Pauvert, La traversée du livre : Mémoires, Ed. Viviane Hamy, 2004)
.

 

 

 

 

 

 

 * Arthur S. PFANNSTIEL (traducteur allemand de Bagatelles... 1901-1983): " Il faut souligner que selon moi, Céline n'était en réalité nullement raciste ni antisémite. Il n'avait pas de véritable haine contre les Juifs. Ce qu'il détestait, c'était la Haute Finance mondiale et il apostrophait du terme général de " juif " tout représentant de cette Haute Finance. Cela relevait pour lui, d'une question d'état d'esprit et nullement de race. Le représentant du petit peuple israélite était pour lui un pauvre type, comme l'étaient un petit paysan breton, un auvergnat ou un moujik. (...) Quand ce livre eut paru, je réussis à trouver un éditeur allemand qui accepta d'en publier une traduction allemande. Je fus chargé de cette traduction.

  (...) C'est pourquoi Céline voulut rejoindre le Danemark où il avait des amis, et il me priait de lui procurer les papiers nécessaires. Ce ne fut qu'en juin 1944, et par des chemins bien détournés, que j'ai réussi à obtenir pour Céline ce précieux permis de quitter Paris et la France. Je ne l'ai jamais revu ! Ce n'est que le 24 novembre 1950 que j'ai reçu une lettre de lui, venant du Danemark. Le fameux éditeur Rowohlt de Hambourg voulait, sur mes suggestions, publier les œuvres de Céline, Malraux, Pierre Mac Orlan etc. Je m'étais adressé à Céline dans ce sens, après avoir obtenu son adresse par son éditeur à Paris. Mon ami Céline m'a répondu dans un sens absolument négatif. (...) Plus tard, on réussit cependant à publier une bonne traduction de Voyage au bout de la nuit, qui a connu un assez grand succès. C'est ainsi que Céline reçut tardivement une consécration bien méritée en Allemagne. "
  (
L.F. Céline européen, L'Année Céline 1999).

 

 

 

 

 

 

* Jean POMMERY (le vétérinaire de Céline dès septembre 1957): " Je n'ai rien oublié ni Louis, ni Lucette, ni les bêtes. A chacun de mes voyages à Paris, j'allais jusqu'à Meudon, visites fréquentes au début, plus rares ensuite : j'étais loin, ailleurs. Je me souvenais des rencontres de Meudon. Enfin, j'ai planté ma tente au milieu des chevaux du Sultan, par hasard, par chance. Le Maroc était chaud et doux. J'ouvre les journaux du matin. Grand titre : Hemingway est mort. Je suis peiné. Plus loin, plus humble aussi - (pourquoi ?) - : Louis-Ferdinand Céline est mort. Je ne me demande plus pour qui sonne le glas, je sais qu'il sonne pour moi, pour une parcelle de moi, pour un morceau du monde vivant : animal ou homme. Je revois Meudon, Meudon-Bellevue, les chiens, les chats, les oiseaux de la ménagerie, le dragon et les clebs.

   J'écris à Lucette. Je m'imagine sa peine, sa détresse, son désarroi et je reçois une lettre merveilleuse, sublime et surprenante. " Louis est mort... " et puis, plus loin " Balou aussi est mort... " Balou le chien, le monstre aux petites dents, peu de temps après Louis. De cette peine immense exprimée avec des mots, on ne pouvait extraire que chaos et désespoir. On ne pouvait discerner la part du Feu de la part du chien. Pour Lucette, femme et danseuse pour qui tout s'écrit et s'efface aussitôt, les œuvres n'étaient qu'une barrière entre l'homme et elle. Le génie avec Louis, l'écrivain s'efface devant l'homme et l'homme est inséparable jusque dans la mort de son chien. Il faut rendre Céline à ses chiens. "
  (Bestiaire de Céline, L'Herne n°5, 1965).

 

 

 

 

 

 

* PUBLICITÉ : " Comment se fabriquent, je vous demande, les idoles dont se peuplent tous les rêves des générations d'aujourd'hui ? Comment le plus infime crétin, le canard le plus rebutant, la plus désespérante donzelle, peuvent-ils se muer en dieux ?... déesses ?... recueillir plus d'âmes en un jour que Jésus-Christ en deux mille ans ?... PUBLICITÉ !

   Que demande toute la foule moderne ? Elle demande à se mettre à genoux devant l'or et devant la merde !... Elle a le goût du faux, du bidon, de la farcie connerie, comme aucune autre foule n'eut jamais dans toutes les pires antiquités... Du coup, on la gave, elle en crève... Et plus nulle, plus insignifiante est l'idole choisie au départ, plus elle a de chances de triompher dans le cœur des foules... mieux la PUBLICITÉ s'accroche à sa nullité, pénètre, entraîne toute l'idolâtrie... Ce sont les surfaces les plus lisses qui prennent le mieux la peinture. "
  (Bagatelles pour un massacre, 1937). 

 

 

 

 

 

 

 

 * André PULICANI (Assureur, ami de Céline fréquentant Montmartre) : " A l'époque où les pamphlets de Béraud avaient fait tant de bruit, Céline me demanda, avec un accent de sincérité qui me bouleversa : " Crois-tu que j'atteins à la vigueur d'Henri Béraud ? " Je ne puis m'empêcher de sourire au souvenir de tant de naïve modestie. J'avais toujours aimé Béraud mais pouvait-il être comparé au géant de nos Lettres contemporaines ? La question que me posa Céline ce jour-là me remplit encore aujourd'hui d'une ineffable satisfaction, parce qu'elle est le témoignage de son absolue humilité. "
 (BC n°169, octobre 1996).

 * " Faites une expérience : interrompez la lecture du Voyage au bout de la nuit ou de Mort à crédit et essayez de lire votre romancier préféré. Il vous faudra plusieurs pages de lecture pour vous dégager de l'emprise de Céline. Encore ne parviendrez-vous pas, le jour même, à retrouver un peu de saveur et de couleur à votre auteur de prédilection. "
  (Cahiers de l'Herne, 1963).

 

 

 

 

 

 * Ludwig RAJCHMAN (1881-1965, docteur en médecine, créateur du Service d'hygiène à la SDN, et de l'Unicef en 1946,): " (...) J'avais l'habitude à la SDN de dresser de semblables projets. Ils aboutissaient en général - A ce propos - il vous arrivera peut-être de rencontrer aux USA, mon ancien patron, à la SDN, le Dr Ludwig RAJCHMAN, juif polonais, de haute et splendide culture et adresse politique. Il est je crois, actuellement à l'UNO.

   C'est lui le Yudenzweck de l'Eglise - Le malheur est qu'il n'a pas pris bien les choses. Sa femme encore moins bien que lui ! Surtout sa femme ! Ah ! les femmes ! Il m'aimait bien, je lui écrivais toutes ses lettres - Je crois qu'il ne m'aime plus tant pis ! Et puis il est vieux - "
  (Lettre à Milton Hindus, 19 juillet 1946, Lettres Pléiade 2010).

 

 

 

 

 

 * Didier RAOULT (infectiologue et professeur de microbiologie français) :
 
 
" Vous ne pouvez pas juger les humains que d'un seul côté. Voyez, l'écrivain le plus génial du monde, Céline, c'était un antisémite.
 Personnellement, je m'en fous complètement. Pourtant, ma femme est juive, mes enfants aussi.
 Mais je ne vais pas m'empêcher de lire l'un des mecs de la littérature les plus géniaux de l'histoire de l'humanité parce qu'il est antisémite. "
 (L'Express, 28 mai-3 juin 2020).

 * Ce rejet d'une partie de l'establishment médical vous touche-t-il ?
 Pas du tout. Je suis aussi stoïcien : la seule chose qui me préoccupe est l'estime de moi-même. Et, croyez-moi, je suis impitoyable. " Je suis le savant de Marseille ", comme disait Coluche.
   Aussi rugueux ?
 Je ne pense pas l'être. Je suis franc, c'est différent. Je me méfie de la popularité. Quand trop de gens vous trouvent formidable, il faut commencer à douter. J'admire Rimbaud, Nietzsche, Céline.
  Souvenez-vous des derniers mots de " L'Etranger ", de Camus : " Pour que tout soit consommé, pour que je me sente moins seul, il me reste à souhaiter qu'il y ait beaucoup de spectateurs le jour de mon exécution et qu'ils m'accueillent avec des cris de haine. " [Il rit]. "
 (Paris Match, Interview, Emilie Blachere, 30 avril 2020).

 

 

 

 

 

 

* Philippe REGNIEZ (éditeur, responsable de la maison d'édition La Reconquête) : " C'est un fait incontournable, Céline est l'un des plus grands écrivains du XXe siècle, si ce n'est son plus grand écrivain, et ce pour l'ensemble de son œuvre. La question infamante que soulève l'avocat Klarsfeld, est de savoir si les Français sont suffisamment adultes, sont suffisamment intelligents, d'une part pour lire et comprendre Céline, et d'autre part pour intégrer ses écrits dans l'histoire. Apparemment  pas, d'après l'avocat Klarsfeld.

   Quant à la commémoration elle-même, outre qu'en retirer Céline est de la censure pure et simple, elle ne nous fait ni chaud ni froid quand on regarde les personnages qui ont les faveurs du ministre de la culture, et les noms de ceux qui aujourd'hui reçoivent la légion d'honneur. Grâce à Dieu, l'œuvre de Céline se place à un autre niveau, et c'est à ce niveau-là qu'il convient de savoir si les Français d'aujourd'hui méritent ou non Céline. "
  (Autres réactions, BC n° 327, février 2011).

 

 

 

 

 

 

 

* Alain REY (linguiste, lexicographe, rédacteur en chef des éditions Le Robert) : " Rabelais puise de façon éclatante dans la langue et fait la langue. (...) Il existe évidemment une ligne directe entre Rabelais et Céline. Mais chez Céline, on assiste plutôt à un glissement de la langue, à une poésie verbale très organisée, qui entraîne des modifications de l'usage ordinaire. Il s'agit d'une utilisation du matériau linguistique, notamment du langage populaire, plus que d'une invention..."
 (Alain REY : pour l'amour des mots, propos recueillis par Jean-Claude  Renard, Politis, n° 533, 28 janv. 1999).

 
* " A un moment, je lisais une page par jour de Céline. Son pamphlet contre Sartre " l'agité du bocal " est aussi hilarant qu'hystérique. En fait, il admirait Sartre. "
  (La bibliothèque d'Alain REY, Ecrivain magazine, avril-mai 1997, L'Année Céline 1997).

 

 

 

 

 

 

 * Véronique ROBERT-CHOVIN  est diplômée de psychologie clinique. Elle a rédigé des travaux universitaires sur Antonin Artaud et René Crevel. En 2001, elle a publié " Céline secret " chez Grasset et en 2009, " Devenir Céline, lettres de Louis Destouches et de quelques autres (1912-1919) chez Gallimard. Et en 2017, " Lucette Destouches, épouse Céline " chez Grasset.
 
" Elles sont deux, Lucette et Véronique.
 Lucette c'est la danseuse Lucette Almanzor, la femme de l'écrivain Louis-Ferdinand Céline, et Véronique, c'est l'amie qui l'accompagne.
 
Le 20 juillet 2012 Lucette a eu cent ans et la vie a continué. Quatre ans durant Véronique a tenu le journal de leur amitié. Lucette y dévoile encore quelques secrets. Elle qui a connu la guerre, la prison, l'hôpital, l'exil auprès d'un mari dont elle n'était pas seulement la muse, et la première lectrice mais aussi et surtout, qui participait à la création en suscitant et vivant la transe émotionnelle qu'exigeait la vie avec Louis-Ferdinand Céline.

 Ce texte est également un témoignage sur l'extrême vieillesse, sur ses dernières joies et tristesses, sur le passé qui remonte et les souvenirs qui s'effacent, sur la mort qui rôde et sur le temps qui passe et finit par tout engloutir.
 C'est aussi le portrait d'une femme dont la force vitale et la drôlerie nous émerveillent.
 Céline l'avait écrit, " on meurt quand on n'a plus assez de musique en soi pour faire danser la vie. "
 A cent quatre ans, Lucette continue de danser, et sa vitalité hors norme que ce journal de bord permet de découvrir nous fascine. "
 (France -Info.fr, le livre du jour, 28 février 2017).
 

 


 

 

 

 

 * Charles-Louis ROSEAU (diplômé en Sciences de l'information et de la communication et en Lettres modernes, étudie les notions de patrimoine symbolique appliqué aux territoires tout en creusant l'œuvre de L.-F. Céline. Egalement musicien, Montréal, Argentine, au Chili. Installé dans le sud entre Sète et Cambia (Nord de l'Ile de beauté) :
 
 "
Céline n'aimait ni la télévision, ni l'alcool, ni les vacances... Les vacanciers, eux, aiment Céline. En témoigne cette affichette accrochée à la hâte avant le départ sur la vitrine kraftée d'une librairie parisienne, avenue Paul Doumer, près du Trocadéro. Signalons au passage la curieuse, mais non moins appréciable initiative de son gérant qui a pris l'habitude de vendre ses livres au centimètre.

 Certains verront dans cet avis de de fermeture annuelle la persistance de traces céliniennes dans l'espace public, d'autres relèveront les frasques d'une affaire sexo-politique qui, sur fond de gouvernance internationale, aurait sans doute inspiré le romancier, ancien rapporteur de la SDN, ou du moins réveillé sa verve destructrice.

J'y vois en ce qui me concerne une manière amusante de traiter d'un fait médiatique dont on a énormément parlé, mais véritablement rien dit. "

 Céline, DSK et les vacances par Charles-Louis Roseau
 
   (Le Petit Célinien, jeudi 1 septembre 2011).

 

 


 

 

 

 

 * André ROSSEL-KIRSCHEN (historien, éditeur 1926-2007) : " La Pléiade a déjà édité quatre volumes de ses œuvres et un cinquième est en préparation. Tous ses ouvrages sont constamment réédités en poche, les rendant accessibles aux jeunes. Deux éditeurs différents ont publié ses " œuvres complètes ". Régulièrement des livres importants s'efforcent de cerner mieux son œuvre et son destin maudit, des interviews de ceux qui ont eu le bonheur de rencontrer le génie sont publiées et des numéros spéciaux de magazines littéraires lui sont consacrés. Un Bulletin célinien et un site Internet informent les fidèles des moindres manifestations à sa gloire. Certains de ses textes sont adaptés en bandes dessinées (sic) et des acteurs connus lisent ses œuvres qui se prêtent bien, reconnaissons-le, à la sonorité du théâtre."

   Grand écrivain Céline ? Cela devient difficile à contester dès lors qu'il est universellement reconnu comme tel. Alors, il s'agira, en guise de compensation, de le montrer sous le jour le plus sordide et, renouant avec une antique accusation sartrienne, d'essayer de démontrer que la seule motivation de Céline fut... l'argent. "
  (Marc Laudelout pour la sortie de " Céline et le grand mensonge ", Ed. Mille et une nuits, 2004).

 

 

 

 

 

 

 

 * Hervé ROUSSEAU (entrepreneur français, créateur en 1997 du concept Flûte (bar à champagne), à New York) : " C'est le dernier né des bars à champagne créés par le Français Hervé ROUSSEAU. Après l'ouverture d'un premier établissement à New York en 1997, Flûte Midtown, l'entrepreneur de 51 ans avait ouvert deux adresses supplémentaires à Manhattan, Flûte Gramercy et Flûte East. Désormais fermées, elles ont laissé place à Flûte Beekman, un bar " plus cosy et intimiste lancé en décembre 2017 ", explique le patron des lieux.

 Féru de littérature et de philosophie, Hervé ROUSSEAU s'est inspiré du roman de Céline, Voyage au bout de la nuit, pour imaginer une décoration entre ciel et mer - une pirogue est suspendue au dessus du bar et un télescope ancien trône au fond de la pièce.
 " Céline m'a beaucoup inspiré. Il a beaucoup voyagé et vécu notamment à New York. "

 Pour le reste, le Français a gardé ce qui a fait la réussite de ses autres établissements : une carte des meilleurs champagnes parmi lesquels Moët et Chandon, Veuve Clicquot et Laurent Perrier, servis au verre ou à la bouteille. Associé à une entreprise de traiteur, le Français propose un menu dans ses deux établissements avec de petites portions aux notes asiatiques, qui se marient avec le champagne. Chaque mercredi soir, " les meilleurs groupes de jazz de la ville ", se produisent à Flûte Beekman et Flûte Midtown.

 Hervé ROUSSEAU réfléchit aussi à un nouveau concept de soirée réunissant ses deux passions : littérature et philosophie. " Tout a été solutionné sauf la manière de vivre ", disait Sartre. " Pourquoi ne pas réfléchir à cette phrase autour d'une coupe de champagne ? ", conclut-il dans un sourire.
 (frenchmorning.com, Flûte Beekman : du champagne et des lettres à Turtle Bay, 11 avril 2018, par Maxime Aubin).

 

 

 

 

 

 

 * Henri ROUSSO (historien, spécialiste de la seconde guerre mondiale) : " Louis-Ferdinand Céline, alias docteur Destouches, est arrivé un beau matin de novembre 1944. Huit jours après le débarquement, il avait quitté la France, " pour un congrès médical à Baden-Baden ". Accompagné par l'inséparable Robert Le Vigan, acteur de son état et surnommé " La Vigue ", il n'a pas attendu les premières escarmouches de la Libération pour mettre entre lui et les armées alliées une distance respectable. Son arrivée fait sensation. " Céline vient de débarquer ! " crie-t-on en ville. Et un groupe de badauds de s'amasser devant la gare

   Lucien Rebatet est parmi eux. Il n'a pas oublié cette apparition. " Les yeux encore pleins de voyage à travers l'Allemagne pilonnée, il portait une casquette de toile bleuâtre, comme les chauffeurs de locomotives vers 1905, deux ou trois de ses canadiennes superposant leur crasse et leurs trous, une paire de moufles mitées pendues au cou, et au-dessous des moufles, sur l'estomac, dans une musette, le chat Bébert ".

   Un milicien, sur son passage : " C'est ça le grand écrivain fasciste, le prophète génial ? "
  (Un château en Allemagne, Ed. Ramsay, 1980, p.62).

 

 

 

 

 

 

 

* Guy SCHOELLER (directeur de la collection " Bouquins " chez R. Laffont) : " Domenach a raison de parler du déclin du roman, bien qu'il se soit fait engueuler par ce crétin de Dominique Fernandez : en voilà un que je ne mettrai pas en " Bouquins ", j'aime mieux vous le dire. Le seul écrivain contemporain que je voudrais vraiment publier, c'est Céline. Si je pouvais avoir les droits, je publierais Mort à crédit et Voyage au bout de la nuit demain ! "
  (Le Français, 24-25 mars 1995).

 

 

 

 

 

 

 * Eric SEEBOLD (éditeur) : " Cela étant, la plupart des éloges distribués sont mérités, même s'ils sont parfois encombrants dès lors qu'ils sont dévolus à des auteurs-maison, voire à l'éditeur lui-même. Celui-ci, reconnaissons-le, en a d'ailleurs conscience : " Pour bien des raisons ce n'était pas à moi de publier ce texte. " Ne le chicanons donc pas sur ce point, et applaudissons plutôt l'exercice taxinomique de SEEBOLD rangeant chaque glossateur dans son bocal respectif. Ainsi, voit-on défiler, côté pile, les ignorants (Weil, Sternhell), les stipendiés (Anglard, Huchet, Combessie), les incompétents (Blondiaux, Szafran, Ory, Klarsfeld), les nains (Calaferte, Bayon, Dutourd), les grotesques (Daniel, Sénécal, Lepape) et les haineux (Bellosta, Alméras, Poirot-Delpech)...

  La pêche a été bonne ! Certes l'exercice s'avère parfois un peu formel, certains relevant de plusieurs catégories à la fois. Côté face, on a les aspirateurs (Gibault, Zagdanski), les superflus sympathiques (Sollers, Duneton, Rinaldi), les témoins (Perrault), les collecteurs (Dauphin, Mazet, Louis), et enfin les critiques (Godard, Juilland), Jean Guénot - ce doit être un ami - a droit à un petit chapitre pour lui tout seul. Après avoir lu cet opuscule, le néophyte aura une vision moins floue des exégètes célinomanes et célinophobes. Et il pourra, en connaissance de cause, faire un premier tri. Même partiel, voire partial, le travail est utile et mérite d'être lu. "
  (M.L. Eric Seebold, Trébuchet pour un centenaire, Essai de taxinomie des commentateurs de L.F. Céline, BC n°164, mai 1996).

 

 

 

 

 

 

 * Tom SEGUEV (historien, auteur du Septième million) : " Céline a publié des écrits racistes anti-juifs. Mais ce n'est pas le cas du Voyage au bout de la nuit qui est un livre antimilitariste et humaniste. Notre responsabilité morale envers les victimes du génocide ne doit pas nous entraîner à interdire des livres.

     Cela pourrait un jour nous amener à les brûler... [...] Le public israélien est suffisamment mûr pour choisir ses lectures. Et aucun professeur ne doit décider à sa place s'il est à même ou non de lire telle ou telle œuvre. "
  (Haaretz, Jérusalem, 28 janvier 1994
).

 

 

 

 

 

 

* SEMMELWEIS : " Jamais il n'aimera Vienne. Les véritables raisons de cette antipathie sont encore sourdes, mais la vie les lui formulera, plus tard, précisément. Cependant, dès son premier séjour à Vienne, il s'y sentit étranger, destiné à déplaire. Tous ses sentiments restèrent hongrois, impénétrables. Longtemps il garda cette foi absolue dans les siens, jusqu'au jour où ses compatriotes eux-mêmes se tournèrent contre lui. Sans doute était-il écrit qu'il serait malheureux chez les hommes; sans doute pour les êtres de cette envergure tout sentiment simplement humain devient une faiblesse.

  (...) Enfin, SEMMELWEIS puisait son existence à des sources trop généreuses pour être bien compris par les autres hommes. Il était de ceux, trop rares, qui peuvent aimer la vie dans ce qu'elle a de plus simple et de plus beau: vivre. Il l'aima plus que de raison. Dans l'Histoire des temps la vie n'est qu'une ivresse, la Vérité c'est la Mort. "
  (La vie et l'œuvre de Philippe-Ignace Semmelweis,1924).  

 

 

 

 

 

* Robert SOUCY (historien américain, professeur d'histoire à Oberlin College) : " Après 1936, Céline écrivit trois ouvrages antijuifs. Ils mettent en lumière son admiration pour l'Allemagne antijuive et son attachement à un grand nombre d'idées que les patriotes français propageaient depuis 1924, y compris un réalisme " viril " qui fulmine contre le marxisme, le libéralisme, la franc-maçonnerie juive, le matérialisme, l'hédonisme et le féminisme. Ces opinions s'accompagnent d'un patriotisme antijuif. Selon Céline, les Juifs dominent la France sur les plans politiques, économique, social et culturel. Selon Céline, se montrer docile avec les Juifs, c'est courir le risque de se faire violer par eux.

  (...) Dans son esprit, les marxistes et les libéraux sont les traîtres par excellence, mais derrière eux, orchestrant leurs activités, on trouve toujours les Juifs. Les francs-maçons sont les " chiens volontaires des Juifs, goinfresses en toutes poubelles, en tous déchets juifs " ; " Les Juifs sont nos maîtres : ici, là-bas en Russie, en Angleterre, en Amérique, partout ! " Les Juifs infiltrent les mouvements révolutionnaires, contraignent les riches à s'endetter, multiplient les crises économiques, réduisent les nations en esclavage... Les Juifs contrôlent tous les leviers essentiels du pouvoir. Tous les trusts français, tous les journaux français, toutes les banques françaises appartiennent aux Juifs. Il n'y a que le travail qui soit français. La Sorbonne est devenue un ghetto, une " synagogue en surpression ", tandis que l'art est aussi sous la coupe des Juifs. "
  (Fascismes français ? 1933-1939, Mouvements antidémocratiques, Ed. Autrement, 2004).

 

 

 

 

 

 

 * Leo SPITZER (historien, philologue et théoricien de la littérature, né à Vienne en Autriche, 1887-1960) : " Si dans un morceau de texte suivi les rappels se trouvent fréquemment, tout le passage devient ironique : Courage Ferdinand... à force d'être foutu à la porte de partout, tu finiras sûrement par le trouver le truc qui leur fait si peur à eux tous, à tous ces salauds-là autant qu'ils sont et qui doit être au bout de la nuit. C'est pour ça qu'ils n'y sont pas eux au bout de la nuit.
 En somme, il était salement mauvais, le moral. Si je leur avais dit ce que je pensais de la guerre, à Lola, elle m'aurait pris pour un monstre... Certains officiers essayaient de me la souffler, Lola. Leur concurrence était redoutable, armés qu'ils étaient eux, des séductions de leur Légion d'honneur.

  Il y a certains noms de personne dont la mention réveille dans l'auteur un essor de veine satirique. Lola, à force de se trouver en fin de phrase devient une espèce de rengaine, de musique ironique, narquoise et insolent : Je reçus ainsi tout près du derrière de Lola le message d'un nouveau monde. Elle n'avait qu'un corps Lola, entendons-nous. Je lui demandai à plusieurs reprises des renseignements sur son Amérique à Lola. Je la considérais comme une charmante embusquée, la Lola, à l'envers de la guerre, à l'envers de la vie. A partir de ce moment, elle crut avoir découvert Lola que nous avions au moins un goût en commun. Elle sanglotait dans son vide, la Lola... Je la regardais attentivement, Lola.

  Que signifie donc, en fin de compte, le tour binaire ou segmenté, le tour à rappel pour le romancier Céline ? Le roman qui s'intitule Voyage au bout de la nuit met en scène des êtres qui se cherchent, qui cherchent " une seule idée, mais alors une superbe pensée tout à fait plus forte que la mort ", qui leur permette de vivre : ils doivent voyager " jusqu'au bout d'eux-mêmes ", " dans la nuit ", seuls, pour se trouver. Ce sont donc des éternels mécontents, des " rouspéteurs " dans la vie quotidienne, heureux de s'écarter des communautés compactes et de se réfugier dans la nuit du crime et de la mort, pourvu que ce soit une nuit " à eux ". On sent que cette note inquiète, réfléchie, critique, polémique, rouspéteuse, ironique, populacière, que nous avons trouvée dans notre expression, est dans le ton de ces personnages que M. Céline a voulu outranciers, dynamiques, mécontents des formes établies.
  Les deux forces contraires qui luttent dans la phrase segmentée chez cet auteur, ce sont l'assurance de soi et l'auto-observation nihiliste. Le résultat de cette lutte doit être nécessairement et pour l'impression définitive du lecteur un manque d'assurance de la part du héros. "
  (Une habitude de style, le rappel chez Céline, Le Français Moderne III, 1935, Le Petit Célinien 18 oct. 2014).
 

 

 

 

 

 

 * Bernard STEELE (éditeur, associé à Robert Denoël, 1902-1979) : " Quelques semaines après l'attribution du prix Renaudot au Voyage, nous eûmes l'immense surprise de recevoir la visite de Gaston Gallimard, qui était venu rue Amélie sans rendez-vous. Il se fit annoncer, pénétra dans notre bureau et, après les aménités d'usage, prit un fauteuil et, sur le ton le plus matter of fact que l'on puisse imaginer, nous fit le petit discours suivant : " Messieurs, dit-il, vous tenez un succès certain avec le Voyage au bout de la nuit. Malheureusement pour vous, cependant, vous n'avez pas les moyens nécessaires pour exploiter convenablement ce succès. Alors... vendez-moi le contrat. Vous en serez très satisfaits, vous et l'auteur, car je suis disposé à vous le payer au prix fort. "

 Stupéfaction générale, puis... refus poli, mais très ferme. Après quelques secondes de silence, Gaston Gallimard se leva, s'approcha de notre bureau, nous menaça de l'index et nous dit : " Eh bien ! Puisque vous ne voulez pas traiter avec moi maintenant, soyez bien persuadés, Messieurs, qu'un jour viendra où j'aurai non seulement ce contrat mais aussi votre maison d'éditions. "
 
Boutade d'un homme dépité et en colère ? ou vision prophétique, qui ne devait se réaliser qu'après une guerre et à la suite d'un assassinat ?
 ( D'un Céline l'autre, D. Alliot, 2011, p. 399).

 

 

 

 

 

 

* TÉLÉVİSION : (27 janvier 1926, création officielle de la télévision) : " Revenons à la télévision. Elle est utile pour les gens qui ne sortent pas, pour ma femme par exemple. J'ai un poste, au premier étage, mais je ne monte jamais. C'est un prodigieux moyen de propagande. C'est aussi, hélas ! un élément d'abêtissement en ce sens que les gens se fient à ce qu'on leur montre. Ils n'imaginent plus. Ils voient. Ils perdent la notion de jugement et ils se prêtent gentiment à la fainéantise. La TV est dangereuse pour les hommes. L'alcoolisme, le bavardage et la politique en font déjà des abrutis. Etait-il nécessaire d'ajouter encore quelque chose ?

   Mais il faut bien l'admettre. On ne réagit pas contre le progrès. Vous arriverait-il d'essayer de remonter les chutes du Niagara à la nage ? Non. Personne ne pourra empêcher la marche en avant de la TV. Elle changera bientôt tous les modes de raisonnement. Elle est un instrument idéal pour la masse. Elle remplace tout, elle élimine l'effort, elle accorde une grande tranquillité aux parents. Les enfants sont passionnés par ce phénomène. " (Interview avec Jacques Chancel, Télémagazine, cahiers Céline 2,1982).

 

 

 

 

 

 

* Henri THYSSENS : " Le libraire liégeois répond à Marc Laudelout :  -Connaît-on maintenant les raisons pour lesquelles Céline n'obtint pas le Goncourt en 32 ?  -La raison est purement commerciale ; à cette époque, la maison Hachette faisait et défaisait les grands prix littéraires. Le roman de Céline était publié par un éditeur indépendant, qui refusait de lui céder la distribution de ses livres.

   Si le Voyage avait eu le prix, Hachette aurait dû acheter, comptant, des milliers d'exemplaires. Avec celui de Mazeline édité chez Gallimard, dont le trust vert avait la distribution, rien de tel : un dépôt à six mois, sans bourse délier. Il suffisait donc de s'assurer du vote de l'un ou l'autre juré. En l'occurrence, ce sont deux Belges, les frères Boex, dits Rosny, qui firent l'affaire ".
  (BC n°276 juin 2006).

 

 

 

 

 

 

* Jean-Louis TIXIER-VIGNANCOUR (avocat et homme politique, 1907-1989) : " Nous attendîmes cinq jours, délai du pourvoi possible, avant de communiquer la nouvelle à la presse. A mon cabinet se trouvaient les amis de Montmartre, Gen-Paul, Le Vigan, Marteau, Perrot et le cher Zuloaga, le fils du grand peintre espagnol. Je téléphonai à Copenhague. L'appareil passa de mains en mains. Céline, au bout du fil, pleurait de joie.

     C'est alors que Jules Moch, ministre de la Défense nationale, entra dans une colère sacrée. Il convoqua le colonel Camadau, ce qu'il pouvait faire, mais aussi le président, ce dont il n'avait pas le droit. Le président dit au cousin Jules qu'il n'avait pas cru amnistier Céline car le dossier comportait le nom de Destouches. - " Et vous ne saviez pas que c'était le même homme ? explosa le ministre. - " Oh, moi, Monsieur le Ministre, en littérature, je me suis arrêté à Flaubert. " Le ministre les congédia tous deux, non sans avoir causé des dommages à une chaise du mobilier national. " ( Des Républiques, des justices et des hommes, Albin Michel,1976).

 

 

 

 

 * Jacques TREMOLET de VILLIERS (avocat): " Quand Céline blague, il le fait dans une outrance verbale, et dans un chant qui, par le style même, détruit ce qui pourrait paraître une horrible et désastreuse théorie: que le monde moderne serait gouverné, de Washington à Moscou et de Londres à Tel-Aviv, par les juifs. Céline se moque de lui-même et de son propre antisémitisme. Céline met en musique, en peinture et presque en danse la râlante gauloise et parisienne. Il la transforme en œuvre d'art, comme Goya le faisait de ses monstres.
 
Ce qui lui importe, c'est le petit bijou que, dans ses courts chapitres, sans cesse corrigés et réécrits, il arrive à ciseler. Au bout du travail de l'artiste, la méchanceté s'est envolée. Il faut être niais comme un antiraciste primaire pour prendre au pied de la lettre le propos, qui n'a été prétexte, pour l'artiste, qu'à faire son œuvre d'art. "
  (Le Siècle juif ? à propos du livre de Yuri Slezkine, le Siècle juif. La Découverte, 2009, Présent, 10 février 2010).

 * Que signifiait cette décoration posthume à un homme qui fuyait, comme la peste, les honneurs et les décorations ? Son biographe, François Gibault, grand avocat, grand lettré et homme de bien, a dit les mots qui s'imposaient : « C'est on ne peut plus célinien. Un jour il a le Goncourt, la semaine suivante il ne l'a plus ; un jour Jack Lang classe sa maison, le lendemain, un préfet la déclasse. Céline n'aimait pas les honneurs, les commémorations — c'est un franc-tireur. La seule chose qui compte, c'est qu'il ait des lecteurs. »

  Et des lecteurs, il va en avoir dix fois plus, car d'autres ont haussé le ton, avec moins de sang-froid. Henri Godard, professeur émérite à la Sorbonne, s'est indigné : « C'est une forme de censure ! » Comment dire autre chose ? Quant à Frédéric Vitoux, de l'Académie française, il déclare : « Retirer le nom d'un catalogue, c'est aussi vain que Staline faisant effacer les photos des dirigeants communistes qu'il n'aimait pas... » Voici donc Klarsfeld revêtu de l'uniforme stalinien, censeur détesté par la république des lettres. Philippe Sollers, de son côté, a aussi donné de la voix... et ce n'est pas fini... les radios, les télés, et les quotidiens. L'affaire Céline recommence. Et du bon côté, cette fois. Merci Klarsfeld.

(Présent, 26/01/2011).

 

 


 

 

 

* Docteur Augustin TUSET (directeur de la Santé à la préfecture du Finistère, 1893-1967): Céline et lui se sont bien connus, notamment lors de ses villégiatures pendant l'occupation. Lorsque Noël L'Helgouarch, marin pêcheur fut condamné à mort par les allemands pour le sabotage d'un câble téléphonique, ils le visitèrent dans sa cellule. Il fut exécuté le 27 juin 41, malgré leur intervention.

 - " Moralité quand même. / Il ne fait aucun doute que si ce malheureux avait été juif il s'en serait sorti... n'importe quel juif - errant forain dégueulasse. Pourquoi ? parce que toute la Juiverie aurait jeté feux et flammes et Mgr Duparc en tête et toute la chrétienté du Finistère et d'ailleurs aurait pris fait et cause à temps pour le petit juif - des pétitions innombrables auraient été couvertes en moins d'une semaine - on aurait tellement emmerdé les fritz qu'ils auraient lâché leur proie.

 (...) Mais un aryen ! tout le monde s'en fout au fond - et les juifs et les aryens s'en foutent. La preuve c'est que l'on était prêt à en sacrifier encore 2 ou 3 millions pour vaincre l'Allemagne, recommencer un 14 - Dans le cas qui nous concerne - imaginez un juif ! la " Bretagne " entre en transe, Rome, les Loges, Vichy, New-York, le monde. C'est le crime des crimes ! Pour un aryen ? des protestations molles, sans foi, sans conviction, sans nombre, sporadiques, anormales, tirées par les cheveux, insolites. / A vous bien cordialement. / Destouches. "
  (Lettres 2009, au docteur Augustin Tuset juillet 1941).

 

 

 

 

 

 

* Jacques VERGES (avocat, militant politique, écrivain, 1925-2013) : "... Or François Gibault est un homme de courage. Il a même accepté d'être mon défenseur, ce qui pour certains est sulfureux. François Gibault est aussi un homme cultivé. Il n'est pas attiré par les philosophes ou écrivains à la mode comme Bernard Henri Lévy. Il se revendique de Louis-Ferdinand Céline. C'est à mes yeux une preuve de goût et d'indépendance d'esprit. Admirer Céline à une époque où règne la pensée unique et le terrorisme intellectuel est presque un délit. " 

* " On savait Maître Jacques VERGES grand admirateur de Céline. On n'en a pas moins été étonné de l'entendre citer, lors du procès Barbie, ce mot de Céline : " Si je rentre à Paris, il se trouvera au moins 20 témoins pour dire que j'étais la maîtresse d'Hitler. "
   (BC n°60, août 1987)

 

 

 

 

 

 

 

 

 * Marc VIDAL (librairie Les Oies sauvages, Pontault-Combault) : " Céline est un grand écrivain parce que, et du reste, je m'en fous. Ce qui m'a toujours intéressé dans Céline, depuis 15 ans que je le lis et le relis, c'est le bonheur de lecture, au gré des formules, des trouvailles. Comme dans Brantôme. Mais ce que je lui dois surtout, et qui me fait penser qu'il est le génie littéraire du XXe siècle français, c'est l'ampleur de la leçon qu'il nous donne, pour nous apprendre à rayer le mot " espoir " de notre vocabulaire. Céline, c'est la redécouverte du tragique au quotidien, du tragique de gouttière, pas de théâtre. Ce que certains saisissent après lecture de dizaines de livres d'histoire, la lecture du Voyage, de Mort à crédit ou de Mea culpa le donne après quelques heures de lecture. Comprendre toute la chiennerie des hommes, toute la saleté des âmes, toute la vacherie du monde, c'est un beau cadeau. Céline nous apprend dans quelle sale banlieue on vit, peuplée de sales bignoles et de faux-culs toujours prêts à se reconvertir en bourreaux, à vous vendre ou à vous bouffer, pourvu que ce soit sans risque.

 Et ses détracteurs ne s'y sont pas trompés : son antisémitisme est un accident historique et reste un prétexte. Ce qu'on lui reproche, c'est de nous ouvrir les yeux sur la crasse de l'espèce humaine, sur la duplicité des régimes, des religions et des politiques. Un célinien qui vote, c'est un peu comme un chrétien qui va au bordel, c'est obscène et c'est humain, et ce n'est pas logique. Céline n'est pas un romancier, c'est le philosophe le plus percutant du siècle. C'est pourquoi il y aura toujours des sous-flics et des bonnes âmes pour vouloir l'interdire, pour pouvoir croire en paix (à n'importe quoi, à Dieu, à Diable, à la démocratie, au peuple, à l'économie, au roulement à billes universel) ou rouler les autres.

 Lire Céline, c'est vouloir mourir les yeux ouverts. "
  (Dans le Bulletin célinien n°145 d'oct. 1994). 

 

 

 

 

 

 

 

 

* Claudine VINCENOT (professeur de lettres, se consacre au fonds de son père Henri VINCENOT): " J'étais installé sur le pont de Puteaux. Colline de Meudon en face, dans la boucle. Péniches remontant la Seine. Jolie lumière. Ça marchait bien, quand je vois arriver un drôle de bonhomme. L'air crevé, triste, plutôt déniapé. Suivi de trois chiens pas plus brillants que le patron et, à la traîne, une pauvre fille, pas trop fraîche non plus. Elle restait à l'écart, avec l'air de n'avoir ni perdu ni gagné.

   Lui se campe derrière moi et se met à me parler de ma toile et de ma façon de peindre : " Continuez, jeune homme, c'est bon... " Puis, de là, il est passé à sa façon de voir, de penser, d'écrire. On élucubre ensemble un bon moment... Devinez qui c'était : Céline, oui ! Louis-Ferdinand Céline ! Quel type ! Du désespoir et de l'énergie à la fois. Quelle lucidité ! Un sacré bonhomme ! " Mon père est retourné là-bas à plusieurs reprises et tous deux ont parlé de la guerre, bien sûr, de la société contemporaine aussi. La nausée que mes parents pouvaient ressentir pour Paris résonnait à plein dans le discours célinien... "
  (Le maître du bonheur, mon père Henri VINCENOT, Ed. Anne Carrière, 1995, dans L'Année Céline 1996, Du Lérot). 

 

 


 

 

 

 

 * Roger-Léon WAGNER (grammairien et professeur de lettres, 1905-1982) : " Messieurs, vous faites erreur. On ne peut comprendre l'œuvre de Céline sans connaître l'auteur. C'est l'une des rares œuvres de notre littérature qui ait un message, qui ait créé un monde, qui ait une signification. Si elle peut être approchée, ce n'est pas par la stylistique.

  C'est une geste au sens médiéval, une geste à vocation odysséenne, certes, et cela suffirait à sa gloire, mais c'est bien plus qu'un voyage utopique où le mal est immanent ; c'est la quête d'un mystique en crainte du vide intérieur, en proie à l'absurde, comme Rabelais, Swift, Joyce ou Beckett, et la stylistique n'est utile qu'à l'étude des œuvres sans signification. "
 (Propos recueillis par Eric Mazet, Sorbonne, 1972, in D'un lecteur l'autre, Krisis, 2019, p. 289).

 

 

 

 

 

 * Philip WATTS (professeur au département de français à l'université de Columbia, USA) : " ... Pas étonnant, donc, qu'il soit copié : son style, son engagement font de Céline une espèce de modèle pour pénétrer le siècle tragique. En effet, nous continuons à entendre sa voix dans une littérature contemporaine qui cherche à s'emparer de l'histoire dans ce qu'elle a de plus violent. Déjà les romanciers américains Joseph Heller dans Catch-22 (1961) et Kurt Vonnegut avec Abattoir 5 (1969) s'étaient tournés vers Céline pour nous faire sentir les défaillances logiques et la violence extrême de l'héroïsme guerrier américain. Plus récemment, dans son roman Allah n'est pas obligé (2000), l'Ivoirien Ahmadou Kourama a adopté un style qui rappelle celui de Céline pour nous raconter les aventures du jeune Birahima, un enfant-soldat embrigadé dans les guerres civiles au Libéria et en Sierra-Leone : " Voilà. Je commence à conter mes salades. (...) C'est comme ça que ça se passe ", lance le narrateur.

  Dernier exemple en date, celui des Bienveillantes (2006) de Jonathan Littell : à travers la voix de l'ancien SS Max Aue, il nous semble entendre celle de Céline, sa complicité hostile avec le lecteur tout au long d'un récit presque insoutenable des atrocités nazies. La verve rhétorique de Céline, son ressentiment, sa proximité avec les acteurs de l'histoire mais aussi sa complicité avec les pires atrocités du XXe siècle font de lui une espèce de terrible modèle pour une nouvelle littérature qui tente de nous faire comprendre les gestes, les paroles et le monde sensoriel d'un siècle tragique. "
  (Céline historien ? Histoire n° 363, avril 2011, Le Petit Célinien 17 septembre 2011).

 

 

 

 

 

 

 * Bernabé WESLEY (professeur certifié en Lettres Modernes à l'Université de Montréal, paru son mémoire de maîtrise consacré à Céline intitulé Nord de L.F. Céline : une réécriture des chroniques médiévales) : " A l'occasion de la parution de Nord, Céline met en avant un tournant majeur de son activité littéraire : " J'ai cessé d'être écrivain pour devenir chroniqueur ", déclare-t-il en 1959. Or la correspondance de l'écrivain indique qu'il se fit envoyer, en exil à Baden-baden en 1944, un exemplaire des Chroniqueurs et Historiens du Moyen Âge, anthologie de la Pléiade établie par Albert Pauphilet et publiée en 1942. Deux ans plus tard, il précise dans une des Lettres de Prison avoir trois livres dans sa cellule, dont une anthologie qui ne peut être que celle des chroniqueurs.

  De Baden-Baden au Danemark en passant par Sigmaringen, Céline aura traversé toute la fin de la Seconde Guerre mondiale avec cette anthologie d'historiographes médiévaux en main. Ce recours à la lignée littéraire des chroniqueurs doit d'autant plus être pris au sérieux qu'il est annoncé dès Normance, le second volume de Féerie pour une autre fois, et fait l'objet de nombreuses affirmations dans la trilogie allemande et dans les entretiens de l'après-guerre. L'ambition d'écrire une chronique à la façon des médiévaux est donc une constance de la trilogie allemande. A partir de Normance, publié en 1954, et jusqu'à sa mort, Céline n'écrira d'ailleurs plus que des chroniques.
  (Les Entretiens du Petit Célinien, 11 février 2013, Propos recueillis par Matthias Gadret).

 

 

 

 

 

 

* André WILLEMIN (journaliste avant-guerre puis médecin spécialiste en électro-radiologie et mammographie, mort en 1987): " Il tenait beaucoup à son titre. Il l'a dit d'ailleurs dans son œuvre ; si on avait voulu lui faire le plus grand mal, on lui aurait retiré son diplôme, ce à quoi il tenait par dessus tout. Vous savez que Mort à crédit a été écrit au cours de l'année 1935, dans une chambre d'hôtel de Saint-Germain, si j'ai bonne mémoire. Dans ce livre, Céline devine la façon dont il mourra, c'est-à-dire il se demande de quelle façon il va mourir, et il penche pour la petite artère qui lâchera un beau jour et qui provoquera une hémorragie cérébrale. Sur ce plan, visionnaire comme il était, il ne s'est pas trompé.  

 - Dans quelles circonstances avez-vous appris la mort de Céline ? Par un coup de téléphone de sa femme qui m'a appelé le 1er juillet 1961, vers cinq heures du soir à mon cabinet, en me disant que Céline était au plus mal et que je vienne dès que possible. 

- Pourquoi Lucette Destouches ne vous a-t-elle pas appelé plus tôt ?
Parce qu'il n'a pas voulu. Elle le lui a proposé : " On va appeler WILLEMIN ". Il lui a répondu : " Je ne veux pas de piqûre, je veux crever tout seul. " C'est pas que j'avais l'intention de lui faire des piqûres. En somme, il pensait que l'affaire était terminée et qu'il pouvait " poser sa chique ", comme il disait...

- Vous aviez pour lui de l'affection ou de l'admiration ?
J'avais une grande affection et une grande admiration , d'autant plus qu'il était persécuté à tous les échelons. Et puis, je me disais que je ne rencontrerais plus d'homme de son envergure après sa mort. Et, en effet, je n'ai pas rencontré de génie pareil depuis qu'il est mort. "
  (Entretien réalisé par Claude-Jean Philippe, émission  " Une légende, une vie ", Antenne 2, 3 sept.1976). 


 

 

 

 

 

* Michel WINOCK (docteur ès lettres, agrégé d'histoire, professeur émérite à Sciences-Po): " Surtout on lui saura gré de replacer Bagatelles pour un massacre dans son contexte. Avant même le choc de la victoire du Front populaire (Blum faisant entrer pour la première fois des communistes dans un gouvernement), il y eut la remilitarisation de la Rhénanie en mars 1936 et les hésitations de Sarraut. Un Maurice Blanchot s'en prend alors dans Combat au " clan qui veut la guerre... anciens pacifistes, révolutionnaires et émigrés prêts à tout pour abattre Hitler... au nom de Moscou ou au nom d'Israël, dans un conflit immédiat. " En 1938, ce sont des socialistes pacifistes qui s'en prennent aux " Blumel, Grumbach, Bloch, Moch ". WINOCK note alors :   

 - " Le massacre auquel le livre de Céline, Bagatelles pour un massacre, faisait allusion était celui des Français livrés par les juifs aux horreurs d'un nouveau 14-18. Les liens du pacifisme et de l'antisémitisme ne cessèrent d'être évidents dans les écrits non romanesques de Céline. Ses Bagatelles, dira-t-il, étaient un acte de paix, un barrage au nouveau carnage, et, en ce sens, il restait fidèle au héros du Voyage, Bardamu. Seuls les juifs, persécutés par Hitler, pouvaient vouloir la guerre : Une guerre pour la joie des juifs ! "
  (B.J. Bagatelles pour quel massacre ?, BC n° 265, juin 2005). 

 

 

 

 

 

 

* Jaroslav ZAORALEK (traducteur tchèque 1896-1947) : " Cher Ami, / Je ne suis pas surpris par la réaction de vos critiques : Je les attendais. La clique juive soviétique et maçonne autrichienne au pouvoir chez vous ne pouvait manquer de baver de la sorte. Je ne crois pas d'ailleurs, même de bonne foi, qu'elle aurait compris. Le destin de la critique est de toujours immanquablement déconner. En réalité Mort à crédit est infiniment supérieur à tous égards au Voyage. C'est de l'expression directe, le Voyage était encore littéraire, c'est-à-dire merdeux, par plus d'un côté. La critique, comme le public, aime avant tout le faux, le simili, l'imposture. Il fuit l'authentique. On ne le changera pas.

   Soit. Je m'en fous après tout. Je veux bien partager le sort de tous les créateurs véritables. Je veux bien être seul contre tous. Il me plaît même parfaitement d'en arriver là. Toute approbation a quelque chose de dégradant et de vil. L'applaudissement fait le Singe. En ces temps parfaitement grégaires, il m'est agréable de chier sur n'importe quelle puissance. Quant à l'optimisme, vous me permettrez de rigoler ! Tous les charlatans sont optimistes ! Que seraient-ils sans bonne humeur ? Tout est là. / Bien amicalement à vous. / L. F. Céline. "
  (A Jaroslav Zaoralek, Saint-Malo, le 12 mai 1937, Lettres Pléiade, 2009)

 

 

 

 

 

 * Georges ZERAPHA (banquier juif, membre fondateur d'Esprit, de la LICRA, résistant 1887-1979) : " Sans nier le talent de l'écrivain, je me vois obligé, à cause de son dernier livre, Bagatelles pour un massacre, de juger l'homme avec moins d'indulgence. (...) Ce livre, où Céline présente l'écrivain aryen comme seul capable d'émotion directe, spontanée, intuitive, organique, continuellement dépossédé par le Juif stérile, pillard, imposteur, plagiaire, ce livre ne contient aucun rythme émotif propre ; aucune émotion directe, spontanée, intuitive, organique, aucune réalité juive authentique n'est jamais communiquée au lecteur, il est fait entièrement d'allégations arbitraires, d'impostures, de pillages et de plagiats. Céline accuse les les Juifs de " culot " ; il pourrait donner aux Juifs des leçons.

    Céline est encore assez responsable pour savoir qu'il a puisé sa documentation et ses statistiques non pas directement aux sources indiquées, mais dans trois publications méprisables. Le lecteur est donc trompé par une argumentation qu'il croit sérieuse et des chiffres qu'il croit exacts, alors que d'une part Céline sait parfaitement que leur origine est suspecte, et que, d'autre part, lui-même, entraîné par son goût de l'emphase, a faussé les chiffres qu'il reproduisait. Un écrivain digne de ce nom peut écrire un livre antisémitique, aussi funambulesque soit-il, mais il se déshonore en reproduisant des prospectus de propagande et en les endossant comme le fruit de ses propres recherches. "
(Le cauchemar du hibou, A propos de Bagatelles pour un massacre, La conscience des Juifs, Paris, février-mars 1938, Les critiques de notre temps et Céline, Garnier, 1976).